Zemmour, manif pour tous, et distractions

The function, the very serious function of racism is distraction. It keeps you from doing your work. It keeps you explaining, over and over again, your reason for being. Somebody says you have no language and you spend twenty years proving that you do. Somebody says your head isn’t shaped properly so you have scientists working on the fact that it is. Somebody says you have no art, so you dredge that up. Somebody says you have no kingdoms, so you dredge that up. None of this is necessary. There will always be one more thing.

Toni Morrison

Il y aurait beaucoup à dire sur Zemmour et son « Donner un prénom qui n’est pas français -à son enfant- c’est se détacher de la France ». Déconstruire les concepts de « prénom français », interroger la possibilité de se « détacher » d’un pays, le lien entre les deux. Il y aurait beaucoup à dire sur les dernières sorties de la manif  pour tous (mpt). La réduction de l’altérité à la différence femme (cis) / homme (cis), ou le lien supposé entre le narcissisme et l’attirance homosexuelle.Nous sommes nombreux à nous horrifier, à raison, de la diffusion médiatique de ce genre de discours. Mais je crains, hélas, qu’exprimer ce que nous ressentons et nous en pensons ne soit pas le plus productif.

D’abord, parce qu’en réagissant à ces propos, nous leur donnons plus de visibilité. C’est grave quand on amène les discours de haine dominants dans les rares espaces qui devraient en être protégés, mettant en danger les personnes qui en sont la cible. C’est ironiquement dramatique quand trois tags anti-IVG dans une rue de Paris prennent gratuitement la force d’une campagne nationale à cause de toutes les réactions de dénonciation.

Ensuite et surtout, car c’est une distraction terrible, que l’on soit allié-e ou concerné-e. En tant que concernée, je suis désolée de voir que pendant qu’on relève une à une les horreurs de la mpt, on ne sorte pas de l’apathie dans laquelle le mouvement LGBT français est plongé depuis l’obtention du mariage pour tous. La réjouissante organisation d’une marche des fiertés de nuit radicale ne peut pas cacher la mollesse avec laquelle la PMA pour tou.te.s, les droits des personnes trans, ou la prévention des suicides sont défendus. En regardant maintenant du côté des alliés, je ne peux m’empêcher de voir, dans les paroles parfois très violentes adressées à la mpt (et, de « mon côté », à Zemmour et autre), une forme de mise à distance rituelle et purificatrice. Tout occupés à la mise à distance de la mpt par rapport à vous, vous ne combattez pas votre homo-, bi-, transphobie intériorisée ; de même, il est plus facile de critiquer Zemmour que de prendre le temps de combattre le racisme et ses effets dans nos propres mouvements.

Alors, plutôt que d’être dans l’opposition et la critique permanente, construisons.

Mon gras

Mon gras est les tartes à la rhubarbe et aux mirabelles de mes grands-parents
Et les plats préparés de mes parents.

Mon gras est le cappuchino du mardi matin au milieu des quatre heures de maths
Et celui offert le midi aux stagiaires du labo.

Mon gras est la peur de manquer de protéines,
Et l’angoisse de n’être pas à la hauteur.

Mon gras est l’amour pour mon +1,
Et la haine de moi-même.

Mon gras est ma flemme de cuisiner,
Et ma gourmandise.

Je suis mon gras. Il est mon passé, mon présent.
Mon hisyoire n’est pas finie. Je changerai. Peut-être. Et lui aussi, sans doute.

Salle de sport, obésité et anxiété/dépression

Depuis un peu plus d’un an, je suis abonnée à une salle de sport ; j’avais écrit les liens entre cette pratique et l’acceptation de mon gras ainsi que le fait qu’aller à la salle de sport est une solution de privilégiée et fait une liste de bonnes raisons de ne pas aller faire du sport. Mon but dans cet article est de décrire en quoi le sport m’aide, personnellement, pour gérer ma santé mentale. Comme quand on est gros-se, être déprimé-e/anxieuse-x fait que les gens se sentent obligés de te dire que si t’allais faire du sport, tout irait parfaitement bien. Cet article n’a pas pour but d’être utilisé pour faire culpabiliser les personnes grosses ou déprimées/anxieuses qui ne font pas de sport, ou de m’élever au-dessus d’elles car ma méthode de gestion est socialement valorisée. Leur corps, leur histoire, leurs contraintes, leurs choix.

Je détaille juste ici différentes activités que je pratique, avec à chaque fois leur effet sur le mental (les effets sur le corps se retrouvant rapidement via google).

Trigger warning : les liens vers les différents concepts donnent vers des pages où le décompte des calories par séance apparaît clairement.

Réflexion commune

La salle de sport peut être un endroit angoissant, en particulier quand on débute, car on a l’impression d’être moins bons que les gens autour, ou de ne pas progresser assez vite. Le truc, c’est que la salle de sport, c’est un peu comme un dojo où les ceintures blanches serait mélangés avec les 6ème dan. Il faut réussir à ne pas se comparer aux autres, ce qui est moins difficile que ça en a l’air (on est assez occupés par les cours pour ne pas avoir beaucoup de ressources mentales à consacrer aux autres) mais n’est quand même pas évident.

Les salles de sport ont aussi toujours des miroirs. Dans celles que j’ai vu, les miroirs étaient disposés intelligement (c’est-à-dire qu’il était possible de choisir de ne pas se voir du tout), mais ce n’est pas une garantie. Se voir est à double tranchant : des fois c’est difficile (surtout au début), maintenant c’est quasiment toujours positif (cela permet de s’améliorer beaucoup plus vite, et des fois on se voit avoir la classe).

Pour les débutants, il faut être bien à l’écoute de son corps et réussir à décoder différentes douleurs (« le muscle travaille » -> on continue en faisant attention; « je m’étire doucement » -> on maintient ; « je m’étire trop » -> arrêter ; « mon gras se plie » -> on continue en ignorant).

Pour les personnes anxieuses, il faut savoir aussi qu’il y a plein de discours incohérents entre eux sur le sport, au point qu’à un moment je culpabilisais de ne pas en faire assez à trois séances / semaine et d’en faire trop à quatre séances. Je dis ça sur la fréquence des entraînements, mais ça marche sur tout : les étirements, les courbatures, la nutrion (OMG la nutrition…), les fringues, les horaires… Au final, pour s’en sortir il faut apprendre à se faire confiance (ce qui est loin d’être évident).

Enfin, je conseil de faire un gros travail d’acceptation de son corps, et en particulier de son gras, avant de commencer. J’ai eu trois phases un peu difficile : au début, où le gras gêne dans les mouvements, après 3/4 mois où je n’avais quasiment pas vu de changement dans mon corps, et au bout d’un an, où j’ai du me réhabituer à mon corps et à tous ces nouveaux msucles / nouvelles zones « fermes » qui rendent du coup les zones « moelleuses » plus difficiles à accepter.

Body balance

Le body balance est un mélange de tai chi, yoga, pilates et relaxation. C’est de la « gym douce », ce qui ne signifie absolument pas que ce soit facile, juste que le travail se fait en gardant des postures « longtemps » plutôt qu’en faisant des répétitions. La partie étirement / relaxation peut être assez éprouvante (une séance sur deux je me mets à pleurer) mais est salvatrice : j’ai l’impression que la fatigue du début de séance laisse les émotions négatives remonter, pour qu’elles puissent s’évacuer vraiment par la suite. Le cours permet aussi d’apprendre à gérer sa respiration, ce qui est une arme non négligeable contre les crises d’angoisse. Il s’agit aussi du seul cours où je n’ai entendu aucune réflexion des instructrices et teurs en rapport avec la « culture du régime » : on parle toujours de bien-être, de posture, de ressenti. Par contre, certains étirements ou postures peuvent être difficiles à faire quand on est gros-se (le gras prend de la place) et nécessite des adaptations. Oser demander plus de renseignements concernant ces adaptations, ou simplement avoir le courage de les trouver soit-même, peut vraiment être difficile. N’hésitez pas à consulter Body positive yoga ou à me demander en commentaire si vous ne lisez pas bien l’anglais.

Body combat

Le body combat est un cours de cardio inspiré de sports de combat (^_^ boxe, taikwendo, karaté…). C’est mon activité préférée :). Les mouvements sont assez simples (ils sont techniques à « bien faire », mais facile à « faire à peu près correctement ») ; certains mouvements nécessitent juste, quand on a une grosse poitrine, d’avoir un très bon maintien. L’esprit du cours, c’est d’être pendant une heure ou presque l’héroïne ou le héros d’un clip de film d’action. C’est extrêmement défoulant et permet d’évacuer l’agressivité et la rage « dans le vide ». Attention juste à ne pas y aller en étant déjà trop en colère, sinon on risque de se donner trop à fond sur l’échauffement et ensuite devoir ralentir.

Si les instructrices que j’ai eu avaient globalement un discours « vous êtes des guerriers », il arrive régulièrement que des commentaires de type culture du régime soient faits ; comme toutes les activités cardio, beaucoup de discussions autour (page facebook notemment) tournent autour de la perte de poids.

Body attack

Le body attack est aussi un cours cardio, mais beaucoup plus « classique » dans ses mouvements (genoux hauts, pas chassés, etc). Du coup, ce cours est un peu moins défoulant mentalement tout en l’étant plus physiquement, car (je trouve) plus difficile. Comme beaucoup de mouvements sont inspirés de l’athlétisme, il peut faire remonter à la surface de mauvais souvenirs de cours d’EPS, mais comme le rythme, le lieu et le contexte sont très différents, ce cours peut aider à soigner ces blessures passées. Comme tout cours cardio, il est assez sujet à la « culture du régime ». Le cours est un peu plus difficile à démarrer que le combat car les séquences sont un peu plus complexes.

Zumba

La Zumba est un cours cardio inspirée de la danse, notamment de danses latinos. Contrairement aux autres cours qui sont des concepts « Les Mills » et où la qualité des cours est constante, celui-ci est un concept indépendant et chaque cours de Zumba est très très fortement marqué par la personnalité et le style de l’instructriceur. Celle dont j’ai l’habitude fait des cours « sexys », ce qui peut être à la fois difficile au début et très valorisant ensuite (au bout de six mois de cours, je me suis trouvée séduisante en rencontrant mon reflet dans un miroir), très féminins et très « funs ». Le cours ne me permet pas vraiment de me défouler mentalement contrairement au combat, mais il rajoute une couche de bonheur / fun qui est toujours bonne à prendre 🙂 C’est aussi l’un des cours les plus difficile à suivre (beaucoup de mouvements de danse à apprendre, beaucoup de changements) et il faut trois/quatre séances pour être à peu près à l’aise.

Body pump

Le body pump est un cours de musculation avec poids en musique. C’est un cours qui a l’air facile mais qui nécessite un apprentissage techniques de mouvements qui ont l’air simple (en particulier les squats mais aussi les biceps curls). Ce cours donne souvent des courbatures (surtout au début) et est exigeant d’exécution, donc il peut être à risque si vous pratiquez l’auto-mutilation ou d’autres formes de self-harm, car il est très facile dans ce cours d’atteindre la douleur.

Le surpoids a surtout pour conséquence de modifier un peu l’équilibre des charges utilisées : à chaque exercice où on utilise le poids du corps,

Le cours est fatiguant sans être défoulant : j’en sors dans un état « neutre », même si bien sûre satisfaite du travail accompli.

Conclusion

Globalement, je déconseillerais la salle de sport aux personnes souffrant de TCA ou étant dans les premières étapes de leur guérison, car il existe un fond de discours toxique même s’il est au final bien moins intense que l’on peut s’y attendre. Cela s’explique en partie car une fois dans la salle de sport, on devient la « bon-ne gros-se » et donc la pression se fait plus légère. Si le sport est pour moi indispensable pour gérer mes troubles anxieux/dépressifs, ce n’est absolument pas une solution miracle d’autant plus qu’il y a aussi des pièges à éviter, mais je prévois un article dédié entièrement au sujet des « solutions faciles » contre les maladies mentales 🙂

Pas de TERF dans mon féminisme, merci

[Edit : Miss Kola a rédigé sa propre réponse. Si vous n’en lisez qu’une, lisez la sienne.]

Aujourd’hui, Miss Koala a fait remonté un tweet de Martin *je refuse d’être un homme* Dufresne, où celui-ci partage ce lien facebook très violent qui compare le combat contre la transphobie et la transmisogynie ave le masculinisme, en se vautrant dans les clichés transphobes.

Déjà, en tant que nana cis, j’apprécie beaucoup qu’un mec cis vienne m’expliquer qui sont mes vrais alliés (à savoir les hommes cis qui refusent d’être des hommes je suppose ? C’est drôlement commode comme coïncidence dit donc) et me représente comme une cruche en robe incapable de voir que je me fais manipulée. C’est drôlement féministe dîtes-donc de dépeindre les femmes cis comme de pauvres filles nécessitant que les hommes-refusant-d-en-être viennent les sauver.

Donc déjà, en tant que nana cis bisexuelle, je sais ce que je dois aux femmes trans : la lutte LGBT. Sans elles, et surtout sans les femmes trans of color, pas d’émeutes de Stonewall, pas de marche des fiertés, pas de revendications, pas d’avancées. Sans les hommes-cis-refusant-d-être-des-hommes, heu ? Donc, même s’il n’y a pas BESOIN d’une raison pour lutter contre la transphobie et la transmisogynie, si j’étais dans une pure logique comptable et d’intérêt, c’est avec les femmes trans que j’irai.

Ensuite, et j’espère ne pas empiéter sur la parole des personnes trans dans ce qui suit, surtout SURTOUT n’hésitez pas à me le dire si c’est le cas, le contenu de ce lien est terriblement stupide, reposant quasi entièrement sur la technique dite de l’homme de paille, à savoir faire dire à ses adversaires ce qu’ils ne disent pas pour mieux les refuter.

Paille n°1 : les femmes trans sont des agentes infiltrées du masculinisme. Je ne sais pas si vous avez déjà vu des groupes de masculinistes (on peut les obverser à l’époque des grandes migrations se poser sur des grues), mais c’est une concentration de mecs cis hétéros blancs valides. Je n’y ait jamais vu de femmes, cis ou trans.

Paille n°2 : les femmes trans ont toutes un pénis, des cheveux blonds et du rouge à lèvres. Alors déjà il n’y a bien entendu aucun problème avec le fait d’être une femme trans avec un pénis, de longs cheveux blonds et du rouge à lèvres. Mais ce cliché permet de nier la diversité des femmes trans, et de faire passer les femmes trans comme forcément plus féminines, et d’une féminité plus artificielle, que les femmes cis. Faudra d’ailleurs qu’on m’explique d’ailleurs pourquoi la féminité « cheveux longs blonds et rouge à lèvre » est mauvaise/artificielle et la féminité « robe et jambes parallèles » est bonne/naturelle.

Paille n°3 : « Ladybrain ! », à savoir « Cerveau de femme ». Déjà, je n’ai jamais vu de masculiniste se revendiquer d’avoir un cerveau, et encore moins de femme. Ensuite, cette expression est critiquée au sein des communautés trans, certaines y trouvant un mot pour caractériser leur vécu, d’autres en soulignant des aspects problématiques et souhaitant l’abandon de son usage.

Paille n°4 : « Females are priviledge for being female, (so call yourself cis) ». Dans l’univers anglophones, « female » signifie « femelle » (avec moins de connotation de bestialité qu’en français), mais il est aussi utilisé très subtilement (ou pas) à la place de « woman » pour exclure les femmes trans. Le discours masculiniste est bien de dire, dans un joli exercice d’inversion, qu’en tant que femme, nous sommes privilégiées. Le discours des femmes trans n’est pas du tout de dire que les femmes sont privilégiées : juste qu’en plus de la misogynie, il existe aussi, en plus, l’axe de la transphobie. Se dire cis, c’est simplement reconnaître qu’on ne souffre pas de transphobie. Comme tous les axes, ils s’intersectent, formant la transmisogynie (c’est-à-dire que des femmes trans sont attaquées car trans, et car femmes). Faire semblant de croire que « cis » nie l’oppression des femmes, c’est encore plus invisibiliser la transmisogynie, et refuser de voir à quel point le point de vue trans* permet de mettre en lumière toute la misogynie existant dans la société. (Exemple que j’ai vu passé sur mon Tumblr ce matin : comment les identités de genre et les orientations sexuelles sont vues comme « fausses » quand elles ont l’air d’émaner de personnes de genre féminin.

Paille n°5 : La socialisation femme n’existe pas et n’a pas d’importance. Le discours masculiniste est effectivement de nier que les femmes sont traitées différemment que les hommes dans la société, afin de nier leur oppression. Les femmes trans ne remettent pas ça en cause : elles expliquent juste que, quand on est une femme trans dans le placard (« pré-transition »), on n’a pas la même interaction avec la société que quand on est un homme cis. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les taux de suicide, dépression, meurtres, chômage… sont très subtilement différents entre les hommes cis et les femmes trans.

Paille n°6 : « Stop talking about your reproductive biology ». La demande des personnes trans n’est pas que les femmes cis arrêtent de parler de clitoris, de vulve, de vagin, d’utérus ou d’ovaires ; elle est qu’on arrête d’utiliser « appareil génital féminin » pour parler de clitoris, de vulve, de vagin, d’utérus, ou d’ovaires. C’est simple : soit on parle d’utérus et de vagin (par exemple pour discuter de coupes menstruelles), et on arrête à la fois de faire comme si ce sujet ne concernait que des femmes alors qu’il concerne aussi des hommes trans et des personnes non-binaires, et comme si il concernait toutes les femmes, vu qu’il ne concerne pas les femmes trans ou les femmes cis sans utérus ; soit, on parle de « sexualité des femmes », et on oublie d’inclure la sexualité des femmes avec pénis ou aux organes génitaux n’étant pas clitoris+vulve+vagin. On remarquera qu’il y a d’ailleurs une association trans, ACCEPTESS-T, dans les associations présentes pour soutenir la PMA. Des associations d’hommes pro-féministes ? Oups !

Paille n°7 : « My feelings are more important than your lived reality ». (Mes émotions sont plus importantes que ta réalité vécue). Alors là je ne sais pas quoi dire à part « référence nécessaire ? », ou dit autrement, WHAAAAAAAAATTT ??

Paille n°8 : « Critizing me is akin to racism » (Me critiquer, c’est comme du racisme). Gros morceau, ces six mots, je vais espérer pouvoir tout déconstruire. La confusion critique personnelle/domination existe dans les deux sens : d’une part, les masculinistes se perdent en accusation de misandrie dès que l’on ose critiquer leurs discours (« MaleTears », pleurs de dominants) ; de l’autre, lorsque des discours misogynes seront dénoncés comme tels, une tactique pour les faire silencier est d’accuser la personne qui les tient de « jouer la carte du sexisme / voir du sexisme partout » alors que, bien évidemment, ce n’était soit-disant que des critiques interpersonnelles. Il s’agit en fait d’un double standard, qui permet à la fois pour les masculinistes de ne pas avoir à répondre aux critiques qu’on leur adresse (« tu dis ça parce que tu es misandre » ne donne absolument aucune information sur si « ça » est vrai ou faux) et d’empêcher la dénonciation/prise de consciences des mécanismes de misogynie systématique (« mais non si les gens te coupent plus la parole, ce n’est pas parce que tu es une femme, c’est parce que tu es trop timide / te laisse trop faire »). Ainsi, en plaçant cette paille dans la bouche des femmes trans, le but est de faire taire leurs dénonciations de la transphobie et de la transmisogynie en les faisant passer pour des personnes ne supportant aucune critique personnelle. Par exemple, une femme trans qui ferait remarquer les critiques sur son « expression de genre stéréotypée » ne sont sans doute pas étrangères à la transmisogynie qui consière la féminité des femmes trans comme plus artificielle, et donc moins bonne, que celle des femmes cis, se fera silenciée comme « n’acceptant pas les critiques sur elle ».
Point important : quand on est blanc, on ne compare rien au racisme. Ca arrive régulièrement que des femmes blanches disent « tel truc passe sans problème mais si c’était transposé au racisme ça ne saurait pas pareil ». 1) C’est faux 2) En disant cela, les femmes blanches se positionnent comme expertes du racisme et de sa comparaison avec le sexisme, invisibilisant les femmes of color, c’est-à-dire celles qui vivent le racisme. Je ne sais pas si des femmes trans blanches ont déjà comparé la transphobie et la transmisogynie au racisme. Sans doute, malheureusement. Mais je ne pense pas que le but de ce dessin était de dénoncer le racisme, et il n’y a pas de raison pour que les exigences d’anti-racisme pèse plus fortement sur les femmes trans blanches que sur les autres blancs.

Paille n°9 : Je ne sais pas ce que sont des « female interests » (sujets de « fâmes »). Je suppose que c’est juste une redite de la paille n°5, ce qui montre encore une fois la pauvreté argumentative de ce dessin 🙂

Paille n°10 : Les fâmes ne devraient pas pouvoir se réunir entre elles sans hommes / sans moi. Les masculinistes ne supportent pas les espaces de non-mixité entre femmes, qu’ils voient comme une menace. Comparer la non-mixité entre femmes excluant les hommes, c’est-à-dire entre personnes subissant le sexisme, à la non-mixité entre femmes cis, c’est-à-dire entre personnes subissant le sexisme mais pas la transphobie, est juste un faux parallèle malhonnête. La non-mixité permet aux personnes de se réunir pour parler de l’oppression qu’elles subissent, sans avoir peur de blesser une personne du groupe oppresseur / se faire couper la parole / que la parole soit monopolisée pour parler des sujets qui n’intéressent que les oppresseurs et pas les oppressées.

Paille n°11 : Les féministes sont aigries car moches / les radfem sont aigries car imbaisables. A nouveau grosse inversion de responsabilité : de nombreuses radfem (« féministes radicales », mais « radfem » a une connotation de féministe radicale transphobe et biphobe) écrivent de longues tribunes expliquant que jamais elles ne coucheraient pas des femmes trans, parce que beurk, pénis. Je n’ai jamais vu des femmes trans y répondre par autre chose que « heu mais c’est transphobe vous savez ? » et « quelle grosse perte lol ». [Je précise qu’en tant que pansexuelle, toute restriction dans les attirances à base d’identité de genre et/ou d’organes géniaux me semble absurde, notamment l’hétérosexualité, je sais que ça existe (duh) mais c’est un sujet que je ne maîtrise pas.]

Paille n°12 : « avoir des rencards est un droit inaliénable ». Cf paille n°10.

Paille n°13 : « Les lesbiennes sont méchantes de ne pas sucer ma queue ». Cf paille n°10. (Je disais quoi sur la richesse argumentative ?).

Paille n°14 : « Je devrais être une priorité du féminisme ». S’il est ridicule que le mouvement de libération des femmes fasse passer en tête les revendications des hommes, je trouve en revanche que oui, la lutte contre la transphobie et la transmisogynie devrait être prioritaire dans les luttes féministes. Pourquoi ? Parce que les femmes trans sont parmi les femmes qui subissent le plus la violence patriarcale (cf paille n°5).

Ne pas aller à la salle de sport : mes excuses

Comme je l’avais dit précédemment, j’ai la chance d’aller régulièrement à la salle de sport et que ça se passe bien. J’avais fait une liste des privilèges qui me permettent d’y aller, notamment le fait que je sois cis et que j’ai les ressources financières et temporelles pour m’y rendre.

Je voudrais ici donner une liste de raisons pour lesquelles j’ai pu ne pas me rendre à la salle de sport, pour déconstruire l’idée que « faire de l’exercice » devrait être notre priorité numéro 1, tout le temps, et que ne pas le faire = manquer de volonté. Mon but n’est pas du tout de me justifier (auprès de qui d’ailleurs ?), mais de montrer une partie de ce qui peut se jouer qui entrave la pratique d’un sport.

  • Réveillée trop tard un dimanche matin suite à une soirée dans une boîte de nuit à la mode marathon Doctor Who ;
  • Récupération moins bonne que prévue de la séance précédente ;
  • Déplacement professionnel à l’autre bout du monde ;
  • Cours dans des « petites » salles remplacés par un gros événement à l’autre bout de la ville ;
  • Embouteillages me faisant arriver bien plus tard que prévu ;
  • Pas assez dormi la nuit précédente et pas en état de rajouter le sport ;
  • État dépressif où sortir de mon appart’ était déjà une tâche bien trop grande à affronter ;
  • Match de rugby au même horaire qu’un cours ;
  • Venus d’amis de l’autre bout de la France ce week-end là
  • +1 qui partait à l’autre bout de la France le lendemain matin pour trois jours et envie de passer la soirée avec lui
  • Oubli de remettre mes chaussures de sport dans mon sac ;
  • Rendez-vous avec un médecin au même horaire qu’un cours ;
  • +1 qui allait à cours n°1 et du coup si j’allais à cours n°2 on avait zéro temps ensemble ce soir-là ;
  • Raid à World of Warcraft au même horaire qu’un cours ;
  • Retard dans le planning de lessives ;
  • Flemme de prendre mon sac de sport dans les transports en commun bondés le matin ;
  • Pas assez de temps entre midi et deux pour aller au cours + aller me chercher à manger ; sachant que les salades / sandwichs de ma salle de sport sont tous non-végés ;
  • Oubli de réserver la veille pour le lendemain ;
  • Réunion de travail qui s’éternise ;
  • Week-end en amoureux ;
  • Assemblée générale de mon association ;

Je pourrais continuer pendant des heures, mais au final on peut regrouper toutes ces raisons en :

  • Ne pas être en état physique/moral de faire du sport ;
  • Avoir d’autres choses dans son emploi du temps, comme des loisirs, du bénévolat ou son travail ;
  • Avoir des contraintes logistiques incompatibles ;
  • Être un boulet qui oublierait sa tête si elle était pas attachée

Ceci pour dire que, et bien des fois, on ne PEUT pas faire du sport. Et la rhétorique « mais si tu peux, suffirait que tu arrêtes d’être présidente du club de macramé aquatique de la Meuse/que le sport devienne LA priorité de ta vie, qui passe devant tout le reste, amis, loisirs, travail, bénévolat, militantisme », n’est pas satisfaisante, car rien ne justifie de changer les échelles de valeur et d’envie des autres pour qu’ils se conforment à des actions jugées plus acceptables et meilleures (par qui ?).

Je suis bi-furieuse

Je fais partie des gens qui pensent que les étiquettes ont une capacité libératrice bien plus forte que leur capacité excluante. Que le problème n’est pas d’être toute-s différente-s, mais qu’il y ait des privilèges, et donc des opressions, associées à ces différences.

S’appliquer une étiquette dont on ignorait l’existence en tant que mot mais qu’on connaissait dans notre vécu, ce n’est pas se limiter : c’est se libérer de cette angoisse d’être inconcevable, à soi et aux autres. Ce n’est pas se couper des autres, c’est se connecter à d’autres vécus qui nous ressemblent.

Ca a été le cas, pour moi, de l’étiquette « bisexuelle ». Ah, c’est comme ça que ça s’appelle, d’être attirée par des personnes de tous genres ? Et je ne suis pas seule ? Et cela a des points communs avec les vécus homosexuels et lesbiens, mais a aussi des aspects uniques.

Et puis, on m’a dit que « bisexuelle », c’était un mot qui excluait les femmes trans, les hommes trans, et les personnes genderqueer et intersexes. Que bi = deux, et que c’était binaire, alors que c’était mieux, plus inclusif, de se définir « pansexuelle ». J’ai accepté cette nouvelle étiquette, car elle me va bien, mais ma jolie étiquette « bi », je l’aimais bien, alors j’ai collé « pan » par-dessus parce que je ne voulais pas être transphobe jusque dans la manière de me nommer, mais quand même, je ne voyais pas pourquoi je devais m’en défaire, elle qui m’avait ammené une communauté[1].

J’ai voulu rentrer dans la communauté LGBT. J’ai vu des affiches qui disaient qu’on ne pouvait pas donner son sang si on avait l’une de ses lettres, alors qu’avec ma meilleure amie lesbienne, on est donneuses régulières. J’ai vu des forums de « femmes qui aiment les femmes » envoyer des MP à l’administratrice parce que une bi bon ok, mais seulement si elle est célibataire ou en couple avec une femme. J’ai vu le féminisme radical m’expliquer que les vraies féministes sont lesbiennes, et que bon les hétéras elles ont pas le choix mais les bies si et que donc elles si elles restent avec des hommes c’est que c’est bien des traîtresses. J’ai vu les militants queers dire des choses que je trouvais brillantes et percutantes, et se réclamer d’être « transpédégouines »[2]. J’ai vu des personnes attirées par des hommes, des femmes et des genderqueer avec une préférence se définir comme « homo-flexible », « majoritairement hétéros », mais jamais comme « bis avec une préférence ». J’ai vu des gens avoir des relations avec des hommes, femmes et genderqueer se réclamer « pédé » ou « gouine » et dire que c’était très radical, tandis que les personnes qui se réclament de « bi » sont par nature à moitié dans la communauté, à moitié en-dehors[3]. Pas des vrais. J’ai très, très peu entendu « bi » pendant les marches des fiertés, par contre j’ai beaucoup entendu « mariage gay » pendant le débat sur le mariage pour tous. J’ai entendu beaucoup de personnes m’expliquer très sereinement qu’une partie de moi était inférieure et que l’autre partie était la bonne. Que suivant de qui je tomberai amoureuse, on verra ma stérilité comme une malédiction que la science peut corriger, ou comme une fatalité dont je ne dois surtout pas chercher à passer outre. J’ai vu des milliers de personnage hétérosexuels, partout, et quand enfin j’en ai vu des bisexuels, on m’a dit que je me faisais des illusions, corrompait une oeuvre, que les personnes étaient trop normaux pour être bis[4], ou alors on leur mettait une autre étiquette, « omnisexuel », parce que tu comprends ils sont trop forts, trop flamboyants, et en plus ils sont les héros de leur propre histoire, alors on ne va pas quand même pas leur donner ton étiquette à toi[5]. J’ai vu encore d’autres étiquettes, « poly » pour plus d’un genre, « huma » pour tous les genres.

Et puis, un jour, j’ai vu que les personnes bies, loin de bénéficier d’un « privilège hétéro », étaient en fait moins bien loties que les personnes homosexuelles. Plus de dépressions, de tentatives de suicide. Plus de victimes de viol. Moins de modèles, moins de communautés pour les accueillir. Beaucoup plus d’isolement, auquel la multiplication des étiquettes n’est pas étrangère. Enormément de personnes qui croient que « ça n’existe pas », y compris des psys, qui passeront donc du temps à chercher à déterminer quelle est la « vraie » orientation de leurs patiente-s plutôt que de les aider. J’ai vu que la fondatrice de la « Lesbian & Gay Pride » était une femme bisexuelle. Que Freddie Mercury n’était pas gay. Que c’était quand même un peu bizarre de définir la bisexualité comme « hommes + femmes », quand les personnes bies n’utilisent pas cette définition, pour ensuite expliquer que « bisexualité » ce n’est pas bon. Que c’était étrange que « hommes + femmes » c’était pas inclusif mais « femmes qui aiment les femmes » si. Que pendant que le mouvement LGBT est dominé par les gays blancs cis CSP+ et qu’il y a énormément de lesbiennes qui continuent à considérer les femmes trans comme des espionnes du patriarcat, que la mesure la plus urgente pour lutter contre la transphobie dans le mouvement LGBT soit de supprimer l’identité bi.

Et là, j’ai arrêté de me comporter en invitée que l’on tolère et qui doit être reconnaissante. Je suis bi, je suis LGBT, et je ne m’excuserai pas. Cette étiquette que vous avez voulu m’enlever, je me la porte en étendard. Je suis intimement pansexuelle, parce que je me reconnais dans « quels que soient leurs genres », mais je sais qu’il y a d’autres personnes qui ont des genres préférés, plus ou moins marqués, qui ne rentrent pas dans cette étiquette, et que le terme « bi » est un joli parapluie. Mais je suis une bisexuelle politique.

Je refuse la silenciation, l’assimiliation, l’invisibilisation. Je refuse l’hétérocentrisme, le patriarcat, le monosexisme, la misogynie et la biphobie. Je refuse de jouer à la « bonne bisexuelle qui jette sous le bus le reste de sa communauté pour une place au soleil, les bi-curieuses des bars, les hommes mariés des backrooms, les polyamoureux, les confus, les infidèles et celles et ceux qui aiment la promiscuité. Quand je me tairai, ça sera pour laisser parler les personnes racisées, non-binaires, séropositives, handicapées, étrangères, travailleuses du sexe, prolétaires, et tous les axes que j’oublie. Je suis bi-furieuse et fière de l’être.

[1] La communauté bi en France, c’est une asso et un forum.
[2] Si vous ne voyez pas le soucis, demandez-vous quelle lettre saute quand on passe de LGBT à TPG.
[3] Le problème N’EST PAS comment ces personnes souhaitent s’identifier. Le problème est qu’un « comportement bi » avec une « étiquette homo » est vu comme radical et subversif pendant qu’un « comportement homo ou hétéro » avec une « étiquette bi » comme rétrograde.
[4] Bonjour, Dean Winchester.
[5] Bonjour, Captain Jack Harkness.

Les Chroniques mauves, reflet fidèle du milieu lesbien français

Les chroniques mauves est un roman graphique écrit par un collectif d’illustratrices racontant le milieu lesbien de 1950 à 2011 en France via 12 épisodes se déroulant en des lieux et des époques différentes. J’avais eu la chance « d’interviewer » une partie de l’équipe lors du printemps lesbien de Toulouse et rédiger une brève sur Wikinews, que je pense intéressante à lire pour comprendre les intentions des autrices.

Dans les points positifs tout d’abord : la démarche du projet en elle-même est intéressante, nécessaire, et le résultat est à la hauteur des attentes. Les personnages expriment les contradictions du milieu, par exemple entre autogestion entre lesbiennes féministes et revendications de « normalité ». Les musiques et textes féministes qui entrecoupent le roman lui apportent une profondeur et un éclairage supplémentaire. Je ne peux m’empêcher d’être déçue de voir les racines radicalement féministes et revendicatrices du début du roman se muer petit à petit en assimilationnisme. Le seul regret en terme de réalisation est que le roman aurait grandement bénéficié de la couleur (une pride en noir&blanc !), qui n’a pas été retenue pour des raisons matérielles.

Le gros point négatif, c’est que le roman est… un reflet fidèle du milieu lesbien français. Aucune femme trans; l’utilisation de bandes pour compresser les poitrines d’un homme trans et qu’une équipe de drag king plutôt que de binders; la copine d’une lesbienne turque qui passe une page à dire qu’elle a de la chance que ses parents ne soient pas des « intégristes » mais que quand même le placard lui pèse ; elle est d’ailleurs la seule lesbienne de couleur de tout le roman, avec une lesbienne noire muette dans une case de pride ; et, ce qui m’a le plus sauté au visage en tant que cis blanche bisexuelle : le traitement indigent de la bisexualité. Je vous recopie la définition que l’on trouve à la fin du roman, dans une liste d’autres termes :

Bi : Désigne une bisexuelle, bien sûr. De mon temps, on ne les aimait pas beaucoup, un peu comme des filles qui ne savaient pas ce qu’elles voulaient. On aimait les choses plus radicales, noires ou blanches ! Aujourd’hui, c’est queer.

En conclusion : il manque un épisode 13 aux Chroniques mauves, « Intersectionnalité », avec des bies, des trans et des racisées. Pour raconter la décennie 2012-2021 ?

Mais pourquoi ça serait à moi de faire des efforts ? Être allié face aux préjudiges

J’ai suivi (de loin) des discussions sur l’affaire Thuram, notamment sur les précautions à prendre pour en parler, et en profiter plus largement pour parler des violences conjugales en général, tout en évitant au maximum les récupérations racistes par l’extrême-droite. Si j’ai bien compris, une féministe blanche n’a pas aimée être reprise là-dessus et ça c’est envenimé. Au milieu des cordialités échangées, il y a eu l’argument « mais pourquoi, en tant que femme blanche, je devrais faire attention à ne pas être raciste, alors que lui, homme racisé, ne fait pas attention à ne pas être sexiste ? ».

C’est quelque chose qui revient régulièrement quand on parle d’intersectionnalité et j’aimerais expliquer cela une bonne foi pour toute.

La première raison, qui devrait être la plus évidente, c’est que, quand on joue à « c’est lui qui a commencé à être sexiste alors j’ai le droit d’être raciste », les personnes les plus pénalisées sont les femmes racisées, qui se retrouvent malgré elles au milieu d’un « débat » où elles n’ont rien à gagner et tout à perdre : pendant qu’on discute encore de « Le Racisme », i.e. ce que subissent les hommes racisés, et de « Le Sexisme », i.e. ce que subissent les femmes blanches, ce que les femmes racisées vivent reste hors-radar, invisible. J’ai pris l’exemple sexisme vs racisme, mais c’est à chaque fois pareil : dès que l’on essaye d’opposer deux axes, les vraies victimes sont celles qui se retrouvent à l’intersection.

La seconde raison, qui est plus profonde, est que la solidarité ne se mérite pas. Alors oui, je comprends le sentiment de trahison qu’on peut ressentir quand on travaille sur ses privilèges sur un axe A et qu’on voit des personnes opprimées sur cet axe se vautrer dans l’oppression sur un axe B où elles sont privilégiées et on est opprimés. Je le comprends d’autant mieux que j’ai vécu le « pff avec tout ce que je fais, c’est comme ça que je suis remerciée ! ». Sauf qu’on est pas antiraciste pour avoir les remerciements des personnes racisées, ou antisexiste pour avoir la gratitude des femmes : s’attendre à cela, et être déçu de ne pas l’avoir, est à nouveau une forme de privilège. On ne lutte pas pour être remercié, ou parce que les personnes opprimées le « méritent », ou pour s’en faire des alliés au sens comptable du terme (je t’aide à détruire le racisme et en échange tu m’aides à détruire le sexisme, mais si tu me « trahis » je fais volte-face, ha ha !). On lutte parce que c’est la seule chose juste à faire.

Oui, la biphobie existe

Je reviens de la lecture du deuxième numéro de suck my glock ! Il y a vraiment plein de choses chouettes dedans, du coup ça m’embête de le call out sur un aspect qui n’est pas central à son propos, mais ça me semble important.

Il y a déjà eu la «biphobie» pour laquelle j’ai eu un peu de mal. Je veux dire, je suis prête à être convaincue qu’il y a une spécificité de la biphobie, mais jusqu’à maintenant tous les exemples de biphobie qui m’ont été donnés étaient soient des choses qui pouvaient être exprimés en terme d’homophobie ou de lesbophobie, soit des exemples au final tout à fait propres à la communauté LGBT, et je ne pense pas qu’on puisse mettre sur le même plan une oppression systémique avec des sortes de normes alternatives propres à un certain milieu, aussi excluantes soient-elles. Mais bon, pourquoi pas ?

La première chose qui me gêne, c’est que quand on ne sait pas, on fait des recherches. Après, c’est un fanzine, pas une thèse de doctorat sur la biphobie au XXIème siècle en France, donc je peux fermer les yeux là-dessus.

Le second c’est que non, en tant que femme bisexuelle, je ne peux pas penser que ce que je subis en tant que femme-qui-aime-les-femmes comme de la lesbophobie. Parce que j’ai trop souvent été invitée à partir de milieux lesbiens qui craignaient sans doute que je les contamine avec ma présence impure pour arriver à m’identifier sous des étiquettes de « lesbienne » ou de « gouine ».

Je vais faire l’hypothèse (fausse) que la biphobie pourrait se résumer à « homophobie + la communauté LGBT est pas accueillante ». Même si ce n’était que cela, cela serait suffisant pour nécessiter un terme propre. Parce que, du coup, nous ne sommes nulle part à notre place. Les espaces LGBT sont à nous en tant que bis, on ne devrait pas avoir à justifier d’un pedigree, d’une « vraie oppression », pour pouvoir y rentrer. Nous sommes chez nous.

Enfin, vu que c’est le point qui semble déranger le plus, oui, il y a des exemples de biphobie perpétuées par « tout le monde » et même de la biphobie spécialement faite par des mecs hétéros (car tout le monde sait que seuls les mecs hétéros sont capables d’être oppressifs) :

  • l’invisibilisation de la bisexualité dans l’histoire et dans la fiction : je ne compte plus le nombre de personnes qui sont choquées quand j’ose dire quelque chose d’aussi radical que « Freddie Mercury était bisexuel ». Dans la fiction, les personnages bisexuels sont très rarement nommés comme tels (quand ils ne tombent pas dans « ah mais en fait j’ai toujours été homo » / « ce n’était qu’une aventure homo ça ne veut rien dire je reste hétéro », qui sont toutes les deux valides, juste qu’il y a une troisième voie aussi) : on en arrive au point où, pour parler de Jack Harkness, les scénaristes préfèrent utiliser un néologisme plutôt que d’utiliser un mot déjà disponible. L’invisibilisation va parfois tellement loin qu’on en vient à devoir justifier que oui, la bisexualité existe et qu’on est pas « des gays qui ne s’assument pas » (pour les bisexuels) ou « des hétéras qui font style » (pour les bisexuelles). [Exercice donné à la lectrice : seras-tu reconnaître la manière dont le sexisme influence la biphobie ?]
  • la sexualisation des femmes bisexuelles par les hommes hétéros. J’ai un peu du mal d’ailleurs à voir comment on peut reconnaître que les lesbiennes subissent cela et le nommer à juste titre lesbophobie en oubliant que les femmes bisexuelles subissent totalement cela aussi. Les « demandes » de plan à trois (pardon, la certitude qu’on va accepter un plan à trois et qu’on a un carnet d’adresse plein de bonasses bies et partantes là tout de suite), on les a aussi. On se retrouve d’ailleurs avec un risque de subir un viol de 46%, soit plus de trois fois plus élevé que les hétéras ou les lesbiennes.

Je ne dis pas que, régulièrement, « l’agenda bisexuel » ne va pas être, concrètement, de lutter contre l’homophobie ou la lesbophobie. Mais cela ne veut pas dire que la position des bisexuel-les soit d’être de suiveurs des gays et lesbiennes « naturellement » leaders et subissant les « vraies » oppressions.

Premières étapes d’acceptation

Je me suis engagée depuis plusieurs années sur le chemin de la fat-acceptance (« acceptation-du-gras »). La FA travaille à détruire les trois équations suivantes :

  1. Gros = mauvaise santé
  2. Gros = moche
  3. Gros = échec moral

Je vais ici raconter mon parcours pour parvenir à détruire ces trois « évidences » , en espérant que cela peut inspirer des personnes et surtout expliquer pourquoi ce parcours n’est pas évident pour toute-s.

La première étape est d’avoir toujours avoir eu des relations (sentimentales et sexuelles et « flirtuelles ») avec des personnes FA, c’est-à-dire qui ne m’ont jamais dit que je serais plus belle avec des kilos en moins, que je me « sentirais mieux », qui ne m’ont jamais dit « mais enfin je dis ça pour ton bien ». Je ne dis pas que je les ai toujours crues, ou que je ne les ai pas trouvé stupides de me croire jolie.

La seconde étape, qui a vraiment été déclencheuse d’une démarche active de FA,  a été de recevoir des massages. Cela a donné un énorme coup à l’équation 3 : mon corps avait besoin que j’en prenne soin et il le méritait.

La troisième étape a été de parcourir la blogosphère / tumblrsphère anglophone ; de lire des textes de FA qui attaquaient 1. 2. et 3.

La quatrième étape a été de me mettre à aller à la salle de sport. Cela m’a été possible parce que j’ai vu des femmes grosses et très sportives, que ce soit en vrai ou dans des oeuvres culturelles (coucou les pandarènes de World of Warcraft); qu’il y a eu une campagne de pub d’une salle de sport dans ma ville prenant comme égérie une femme ronde; et enfin, qu’une collègue me poussait avec insistance à l’accompagner. Aller faire du sport avec des instructeurs qui acceptent de reprendre les bases depuis le début, à base de « oui c’est normal que tu ressentes cela moi aussi, et en plus pour toi ça doit être encore plus dur », comprendre enfin que le sport est un plaisir et non pas une punition pour les vilains gros qui savent pas maigrir, voir son corps accomplir des choses et pas juste être un poids…

Bien, maintenant voyons quels sont les privilèges sur lesquels je me suis appuyée :

  • j’ai suffisamment d’argent pour me payer des massages, un abonnement à la salle de gym et un abonnement à WoW
  • j’ai suffisamment de patrimoine culturel pour comprendre sans problème l’anglais écrit
  • je vis et travail à proximité de salles de sport
  • je suis cis et donc le vestiaire dans lequel je peux me changer et prendre une douche est évident
  • je n’ai pas d’handicap qui me rendent la salle de sport inaccessible, les cours collectifs impossibles à suivre ou les mouvements impossibles à exécuter

C’est pour cela que je pense que si la FA est libératrice, nous devons garder en tête qu’elle est encore très très loin d’être accessible à toute-s.