[Edit : Miss Kola a rédigé sa propre réponse. Si vous n’en lisez qu’une, lisez la sienne.]
Aujourd’hui, Miss Koala a fait remonté un tweet de Martin *je refuse d’être un homme* Dufresne, où celui-ci partage ce lien facebook très violent qui compare le combat contre la transphobie et la transmisogynie ave le masculinisme, en se vautrant dans les clichés transphobes.
Déjà, en tant que nana cis, j’apprécie beaucoup qu’un mec cis vienne m’expliquer qui sont mes vrais alliés (à savoir les hommes cis qui refusent d’être des hommes je suppose ? C’est drôlement commode comme coïncidence dit donc) et me représente comme une cruche en robe incapable de voir que je me fais manipulée. C’est drôlement féministe dîtes-donc de dépeindre les femmes cis comme de pauvres filles nécessitant que les hommes-refusant-d-en-être viennent les sauver.
Donc déjà, en tant que nana cis bisexuelle, je sais ce que je dois aux femmes trans : la lutte LGBT. Sans elles, et surtout sans les femmes trans of color, pas d’émeutes de Stonewall, pas de marche des fiertés, pas de revendications, pas d’avancées. Sans les hommes-cis-refusant-d-être-des-hommes, heu ? Donc, même s’il n’y a pas BESOIN d’une raison pour lutter contre la transphobie et la transmisogynie, si j’étais dans une pure logique comptable et d’intérêt, c’est avec les femmes trans que j’irai.
Ensuite, et j’espère ne pas empiéter sur la parole des personnes trans dans ce qui suit, surtout SURTOUT n’hésitez pas à me le dire si c’est le cas, le contenu de ce lien est terriblement stupide, reposant quasi entièrement sur la technique dite de l’homme de paille, à savoir faire dire à ses adversaires ce qu’ils ne disent pas pour mieux les refuter.
Paille n°1 : les femmes trans sont des agentes infiltrées du masculinisme. Je ne sais pas si vous avez déjà vu des groupes de masculinistes (on peut les obverser à l’époque des grandes migrations se poser sur des grues), mais c’est une concentration de mecs cis hétéros blancs valides. Je n’y ait jamais vu de femmes, cis ou trans.
Paille n°2 : les femmes trans ont toutes un pénis, des cheveux blonds et du rouge à lèvres. Alors déjà il n’y a bien entendu aucun problème avec le fait d’être une femme trans avec un pénis, de longs cheveux blonds et du rouge à lèvres. Mais ce cliché permet de nier la diversité des femmes trans, et de faire passer les femmes trans comme forcément plus féminines, et d’une féminité plus artificielle, que les femmes cis. Faudra d’ailleurs qu’on m’explique d’ailleurs pourquoi la féminité « cheveux longs blonds et rouge à lèvre » est mauvaise/artificielle et la féminité « robe et jambes parallèles » est bonne/naturelle.
Paille n°3 : « Ladybrain ! », à savoir « Cerveau de femme ». Déjà, je n’ai jamais vu de masculiniste se revendiquer d’avoir un cerveau, et encore moins de femme. Ensuite, cette expression est critiquée au sein des communautés trans, certaines y trouvant un mot pour caractériser leur vécu, d’autres en soulignant des aspects problématiques et souhaitant l’abandon de son usage.
Paille n°4 : « Females are priviledge for being female, (so call yourself cis) ». Dans l’univers anglophones, « female » signifie « femelle » (avec moins de connotation de bestialité qu’en français), mais il est aussi utilisé très subtilement (ou pas) à la place de « woman » pour exclure les femmes trans. Le discours masculiniste est bien de dire, dans un joli exercice d’inversion, qu’en tant que femme, nous sommes privilégiées. Le discours des femmes trans n’est pas du tout de dire que les femmes sont privilégiées : juste qu’en plus de la misogynie, il existe aussi, en plus, l’axe de la transphobie. Se dire cis, c’est simplement reconnaître qu’on ne souffre pas de transphobie. Comme tous les axes, ils s’intersectent, formant la transmisogynie (c’est-à-dire que des femmes trans sont attaquées car trans, et car femmes). Faire semblant de croire que « cis » nie l’oppression des femmes, c’est encore plus invisibiliser la transmisogynie, et refuser de voir à quel point le point de vue trans* permet de mettre en lumière toute la misogynie existant dans la société. (Exemple que j’ai vu passé sur mon Tumblr ce matin : comment les identités de genre et les orientations sexuelles sont vues comme « fausses » quand elles ont l’air d’émaner de personnes de genre féminin.
Paille n°5 : La socialisation femme n’existe pas et n’a pas d’importance. Le discours masculiniste est effectivement de nier que les femmes sont traitées différemment que les hommes dans la société, afin de nier leur oppression. Les femmes trans ne remettent pas ça en cause : elles expliquent juste que, quand on est une femme trans dans le placard (« pré-transition »), on n’a pas la même interaction avec la société que quand on est un homme cis. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les taux de suicide, dépression, meurtres, chômage… sont très subtilement différents entre les hommes cis et les femmes trans.
Paille n°6 : « Stop talking about your reproductive biology ». La demande des personnes trans n’est pas que les femmes cis arrêtent de parler de clitoris, de vulve, de vagin, d’utérus ou d’ovaires ; elle est qu’on arrête d’utiliser « appareil génital féminin » pour parler de clitoris, de vulve, de vagin, d’utérus, ou d’ovaires. C’est simple : soit on parle d’utérus et de vagin (par exemple pour discuter de coupes menstruelles), et on arrête à la fois de faire comme si ce sujet ne concernait que des femmes alors qu’il concerne aussi des hommes trans et des personnes non-binaires, et comme si il concernait toutes les femmes, vu qu’il ne concerne pas les femmes trans ou les femmes cis sans utérus ; soit, on parle de « sexualité des femmes », et on oublie d’inclure la sexualité des femmes avec pénis ou aux organes génitaux n’étant pas clitoris+vulve+vagin. On remarquera qu’il y a d’ailleurs une association trans, ACCEPTESS-T, dans les associations présentes pour soutenir la PMA. Des associations d’hommes pro-féministes ? Oups !
Paille n°7 : « My feelings are more important than your lived reality ». (Mes émotions sont plus importantes que ta réalité vécue). Alors là je ne sais pas quoi dire à part « référence nécessaire ? », ou dit autrement, WHAAAAAAAAATTT ??
Paille n°8 : « Critizing me is akin to racism » (Me critiquer, c’est comme du racisme). Gros morceau, ces six mots, je vais espérer pouvoir tout déconstruire. La confusion critique personnelle/domination existe dans les deux sens : d’une part, les masculinistes se perdent en accusation de misandrie dès que l’on ose critiquer leurs discours (« MaleTears », pleurs de dominants) ; de l’autre, lorsque des discours misogynes seront dénoncés comme tels, une tactique pour les faire silencier est d’accuser la personne qui les tient de « jouer la carte du sexisme / voir du sexisme partout » alors que, bien évidemment, ce n’était soit-disant que des critiques interpersonnelles. Il s’agit en fait d’un double standard, qui permet à la fois pour les masculinistes de ne pas avoir à répondre aux critiques qu’on leur adresse (« tu dis ça parce que tu es misandre » ne donne absolument aucune information sur si « ça » est vrai ou faux) et d’empêcher la dénonciation/prise de consciences des mécanismes de misogynie systématique (« mais non si les gens te coupent plus la parole, ce n’est pas parce que tu es une femme, c’est parce que tu es trop timide / te laisse trop faire »). Ainsi, en plaçant cette paille dans la bouche des femmes trans, le but est de faire taire leurs dénonciations de la transphobie et de la transmisogynie en les faisant passer pour des personnes ne supportant aucune critique personnelle. Par exemple, une femme trans qui ferait remarquer les critiques sur son « expression de genre stéréotypée » ne sont sans doute pas étrangères à la transmisogynie qui consière la féminité des femmes trans comme plus artificielle, et donc moins bonne, que celle des femmes cis, se fera silenciée comme « n’acceptant pas les critiques sur elle ».
Point important : quand on est blanc, on ne compare rien au racisme. Ca arrive régulièrement que des femmes blanches disent « tel truc passe sans problème mais si c’était transposé au racisme ça ne saurait pas pareil ». 1) C’est faux 2) En disant cela, les femmes blanches se positionnent comme expertes du racisme et de sa comparaison avec le sexisme, invisibilisant les femmes of color, c’est-à-dire celles qui vivent le racisme. Je ne sais pas si des femmes trans blanches ont déjà comparé la transphobie et la transmisogynie au racisme. Sans doute, malheureusement. Mais je ne pense pas que le but de ce dessin était de dénoncer le racisme, et il n’y a pas de raison pour que les exigences d’anti-racisme pèse plus fortement sur les femmes trans blanches que sur les autres blancs.
Paille n°9 : Je ne sais pas ce que sont des « female interests » (sujets de « fâmes »). Je suppose que c’est juste une redite de la paille n°5, ce qui montre encore une fois la pauvreté argumentative de ce dessin 🙂
Paille n°10 : Les fâmes ne devraient pas pouvoir se réunir entre elles sans hommes / sans moi. Les masculinistes ne supportent pas les espaces de non-mixité entre femmes, qu’ils voient comme une menace. Comparer la non-mixité entre femmes excluant les hommes, c’est-à-dire entre personnes subissant le sexisme, à la non-mixité entre femmes cis, c’est-à-dire entre personnes subissant le sexisme mais pas la transphobie, est juste un faux parallèle malhonnête. La non-mixité permet aux personnes de se réunir pour parler de l’oppression qu’elles subissent, sans avoir peur de blesser une personne du groupe oppresseur / se faire couper la parole / que la parole soit monopolisée pour parler des sujets qui n’intéressent que les oppresseurs et pas les oppressées.
Paille n°11 : Les féministes sont aigries car moches / les radfem sont aigries car imbaisables. A nouveau grosse inversion de responsabilité : de nombreuses radfem (« féministes radicales », mais « radfem » a une connotation de féministe radicale transphobe et biphobe) écrivent de longues tribunes expliquant que jamais elles ne coucheraient pas des femmes trans, parce que beurk, pénis. Je n’ai jamais vu des femmes trans y répondre par autre chose que « heu mais c’est transphobe vous savez ? » et « quelle grosse perte lol ». [Je précise qu’en tant que pansexuelle, toute restriction dans les attirances à base d’identité de genre et/ou d’organes géniaux me semble absurde, notamment l’hétérosexualité, je sais que ça existe (duh) mais c’est un sujet que je ne maîtrise pas.]
Paille n°12 : « avoir des rencards est un droit inaliénable ». Cf paille n°10.
Paille n°13 : « Les lesbiennes sont méchantes de ne pas sucer ma queue ». Cf paille n°10. (Je disais quoi sur la richesse argumentative ?).
Paille n°14 : « Je devrais être une priorité du féminisme ». S’il est ridicule que le mouvement de libération des femmes fasse passer en tête les revendications des hommes, je trouve en revanche que oui, la lutte contre la transphobie et la transmisogynie devrait être prioritaire dans les luttes féministes. Pourquoi ? Parce que les femmes trans sont parmi les femmes qui subissent le plus la violence patriarcale (cf paille n°5).